OPiCitations
quotation
Ah ! Jeanne ! Écrire sur toi, je n’écrirais que du bonheur et mes cahiers n’y suffiraient pas. Un jour, je préparai une lettre. Nous avions passé la soirée ensemble, seul à seul comme on dit. J’écrivis ces mots comme on les prononces. Eh non ! sur le papier ils vivaient. L’un de ces « seul » représentait Jeanne, l’autre c’était moi, seule et seul : un féminin blotti près d’un masculin, quelle communion ! Et puis, il me fallut choisir. Écrire « seule à seul » ou « seul à seule » ? Il y avait une nuance. Quelle joie de comparer. Comme les idées allaient loin ! Seul à seule, seule à seul, pendant ces jours, je humai ce bonheur.
quotation
Assez lâchement, ne pouvant tout, je ne fais rien. Mais j’en porte le regret.
folie
Autre chose. Fou à demi, j’aimerais mieux être fou en entier. Toujours la belle bleue ratée ! J’ai besoin que les choses soient totales, qu’elles durent, qu’elles soient avec plénitude, certitude, ce qu’elles sont. Si j’aimais, je voudrais aimer pleinement. Aimer avec mes doigts, avec mes yeux, avec ma bouche, avec mon âme, avec tout ce que renferment mon esprit et mon corps. Toujours, jamais : voilà des mots que je comprends ! Ce qui passe, ce qui ne dure pas, ce qui est incertain, ce qui arrivera peut-être, ce qui arrivera plus tard : je suis en plein vertige sur ma poutre. Ce qu’un de mes amis appelait : « Tes petits scrupules d’absolu ». Et ces scrupules, si je les accroche à Dieu ? Dieu ou Pas-Dieu, le monde tourne autour de cet axe. Des prêtres sont devenus prêtres parce qu’ils croyaient en lui, tout à coup ils ne croient plus. Des savants le nient, puis l’affirment. Comment savoir ? Qu’il existe, nom de nom, ou qu’il n’existe pas, mais que l’on soit fixé. Un jour, je me dis : « Peut-être oui », le lendemain « Peut-être non ». Jamais un Tout-oui, un Tout-non. S’interroger là-dessus, ne pouvoir s’en empêcher, est-ce être fou ?
J’en arrive aux phénomènes extérieurs, ceux qu’un chacun peut voir. Quand je suis sérieux, je les appelle « mes mouvements » ; quand je plaisante « mes bêtises ». Entre parenthèses, si j’étais fou, dirais-je jamais : « mes bêtises » ? Voici. Si je parle d’un petit bonhomme qui est dans ma tête, entendons-nous : il n’y a pas de petit bonhomme dans ma tête. Les choses se passent comme s’il y était. Il commande, j’obéis. Tout à coup, c’est irrésistible : ma main se lève, je pointe mon pouce et dois l’enfoncer dans l’œil. Hif ! cela fait mal. L’œil droit est déjà entamé. Qu’arrivera-t-il, quand j’attaquerai le gauche ? Réagir ! Oui : c’est l’éternel conseil à ceux qui précisément ne peuvent réagir ! Quand je m’envoie le pouce, je me gronde : « Tu te blesses, tu es stupide ». Stupide ou non, il faut. Et le mouvement doit être bien fait.
[…]
Bah ! ce sont des tics, les médecins l’affirment. Mais de grâce, que l’on se dispense de les arrêter dans une camisole de force. C’est comme si la plume sur le point de se partager, ne se partageait pas. Ce que l’on défend à mon pouce, ma pensée l’accomplit. C’est autrement pénible.
J’en arrive aux phénomènes extérieurs, ceux qu’un chacun peut voir. Quand je suis sérieux, je les appelle « mes mouvements » ; quand je plaisante « mes bêtises ». Entre parenthèses, si j’étais fou, dirais-je jamais : « mes bêtises » ? Voici. Si je parle d’un petit bonhomme qui est dans ma tête, entendons-nous : il n’y a pas de petit bonhomme dans ma tête. Les choses se passent comme s’il y était. Il commande, j’obéis. Tout à coup, c’est irrésistible : ma main se lève, je pointe mon pouce et dois l’enfoncer dans l’œil. Hif ! cela fait mal. L’œil droit est déjà entamé. Qu’arrivera-t-il, quand j’attaquerai le gauche ? Réagir ! Oui : c’est l’éternel conseil à ceux qui précisément ne peuvent réagir ! Quand je m’envoie le pouce, je me gronde : « Tu te blesses, tu es stupide ». Stupide ou non, il faut. Et le mouvement doit être bien fait.
[…]
Bah ! ce sont des tics, les médecins l’affirment. Mais de grâce, que l’on se dispense de les arrêter dans une camisole de force. C’est comme si la plume sur le point de se partager, ne se partageait pas. Ce que l’on défend à mon pouce, ma pensée l’accomplit. C’est autrement pénible.
quotation
Brusquement, le page, la reine, le roi s’envolaient.
— Cet enfant se pourrit la cervelle. Qu’il étudie donc son système métrique.
— Cet enfant se pourrit la cervelle. Qu’il étudie donc son système métrique.
inconscience
C’est ainsi que, gamin de dix à treize ans, je marchais en plein vertige sur une planche que d’autres franchissent, paraît-il, sans y penser.
quotation
Cette conversation ne dépasse pas les niaiseries qu’on échange quand on a vidé trop de chopines. Je dirai pour celle-ci et, une fois pour toutes celles qui suivront : que les mots ne sont rien, que le sens caché à l’intérieur est tout, que l’on peut se braver, lutter, ou même s’empoisonner, en ayant l’air de débiter des bêtises.
quotation
Dans ma conscience, il y a eu des hauts et des bas. Comme c’est compliqué. Il m’est arrivé de boire un verre de trop et de me coucher un peu gris. Même alors, je n’oublie pas mes Ave et il y en a de plus en plus. Je partage un Ave en dix tronçons que je compte sur les os de mon poing : Je vous salue, Marie : un ; pleine de grâces, deux… Ces Ave terminés, j’en récite dix supplémentaires pour réparer une négligence possible, plus dix pour être sûr du supplément. Au fond, cela ne s’appelle pas prier.
quotation
Des années d’étude, des années de pratique, il a fallu ce temps aux médecins, aux internes, aux infirmières, pour ignorer qu’un ongle qui vous blesse, on le coupe.
quotation
Des gens connaissent la maladie dont ils mourront. Je connaissais la mienne. Sacrilège, tôt ou tard, je deviendrais la proie du diable. Rien à faire. Je traînais cette idée. Elle grandit avec moi. Elle donnait à mes actes une inquiétude, logique pour moi, qui devait intriguer ceux qui ne savaient pas. Je surveillais si l’on fermait bien les becs de gaz. J’appuyais du pouce pour être sûr, puis vérifiais de nouveau, car s’il était fermé, en appuyant ne l’avais-je pas ouvert ? Je flairais ma viande. N’était-elle pas décomposée ? N’osant la laisser là, j’y répandais des doses de sel qui purifie :
— Pourquoi, petit ?
— J’aime cela, maman.
Il n’en fallut pas davantage. Papa blâma mes goûts dépravés. Comment expliquer que ce gaz, cette viande portaient en eux la mort subite qui jette une âme aux pieds de son juge ?
— Pourquoi, petit ?
— J’aime cela, maman.
Il n’en fallut pas davantage. Papa blâma mes goûts dépravés. Comment expliquer que ce gaz, cette viande portaient en eux la mort subite qui jette une âme aux pieds de son juge ?
folie
Eh ! je vous entends, Monsieur mon lecteur improbable. Je radote, je ne vous intéresse pas. Des faits, des faits, vous voulez des faits. Ou, comme je vous l’ai promis, des niaiseries. Le reste est neutre, pâle, blanc. Blanc ? Permettez ! Quand vous êtes au cinéma devant l’écran, que voyez-vous d’abord ? Vous voyez du blanc : une nappe de lumière blanche. Comment, sans ce blanc, distingueriez-vous le noir que sont les personnages ? Eh bien ! j’ai projeté ma lumière blanche. Les personnages peuvent venir. Attention ! voici papa.
Papa, tel qu’il se présente, est un singulier bonhomme. Long, maigre, le nez qui coupe, les oreilles qui s’écartent. Il s’assied sur le bord de mon lit, me regarde, secoue la tête et sa bouche ne remue pas, puisqu’il ne dit rien. Ses oreilles, au contraire, s’agitent un peu. On dirait des ailes. Va-t-il s’envoler ? Non, les ailes sont trop faibles ou le corps est trop lourd. Que pense-t-il ? Que je suis un fou ? un imbécile ? En tout cas que je coûte de l’argent, alors que j’en pourrais gagner avec mes chiffres de haut en bas, de gauche à droite. Sur l’écran cela ne se voit pas : il ne m’aime pas, je ne l’aime pas, il me déteste. Je le sais, il le sait. Oh ! sans se le dire. Est-il besoin de se dire certaines choses ?
Voici maman. J’adore maman. Je voudrais que tout le monde aimât maman. Je lui ressemble. Elle m’a donné ses yeux, des yeux inquiets trop grands ; son front, un beau front, large et fort, ridé chez elle, uni chez moi, avec une mèche noire qui lui fait dire : « Mon petit Napoléon ». Piteux Napoléon ! Elle est menue, fragile, blanche ; une porcelaine craquelée. N’y touchez pas : elle est brisée. Pardon ! On plaisante toujours un peu sa maman. À peine entrée, elle a déployé son mouchoir, m’embrasse, étale sur mon lit des poires, des raisins, des bonbons, pleure. Elle restera pendant deux heures : pendant deux heures elle pleurera. À la maison, elle pleurera pendant les autres heures. À cause de moi. Pauvre maman !
Papa, tel qu’il se présente, est un singulier bonhomme. Long, maigre, le nez qui coupe, les oreilles qui s’écartent. Il s’assied sur le bord de mon lit, me regarde, secoue la tête et sa bouche ne remue pas, puisqu’il ne dit rien. Ses oreilles, au contraire, s’agitent un peu. On dirait des ailes. Va-t-il s’envoler ? Non, les ailes sont trop faibles ou le corps est trop lourd. Que pense-t-il ? Que je suis un fou ? un imbécile ? En tout cas que je coûte de l’argent, alors que j’en pourrais gagner avec mes chiffres de haut en bas, de gauche à droite. Sur l’écran cela ne se voit pas : il ne m’aime pas, je ne l’aime pas, il me déteste. Je le sais, il le sait. Oh ! sans se le dire. Est-il besoin de se dire certaines choses ?
Voici maman. J’adore maman. Je voudrais que tout le monde aimât maman. Je lui ressemble. Elle m’a donné ses yeux, des yeux inquiets trop grands ; son front, un beau front, large et fort, ridé chez elle, uni chez moi, avec une mèche noire qui lui fait dire : « Mon petit Napoléon ». Piteux Napoléon ! Elle est menue, fragile, blanche ; une porcelaine craquelée. N’y touchez pas : elle est brisée. Pardon ! On plaisante toujours un peu sa maman. À peine entrée, elle a déployé son mouchoir, m’embrasse, étale sur mon lit des poires, des raisins, des bonbons, pleure. Elle restera pendant deux heures : pendant deux heures elle pleurera. À la maison, elle pleurera pendant les autres heures. À cause de moi. Pauvre maman !
professeur
Et d’abord, j’y vis M. le Percepteur lui-même. Il est bien sûr qu’il était pourvu de la quantité nécessaire de cheveux, de dents, de doigts, dont il se servait dans le privé à la façon de tout le monde. Une fois derrière son pupitre, il devenait une machine. Sa femme elle-même se fût présentée, qu’elle eût été, je crois, comme les autres : un contribuable. Ces contribuables se partageaient en deux classes : les uns qui réglaient leur compte et c’était bien ; les autres qui se faisaient tirer l’oreille et c’était mal. Il connaissait pourtant quelques êtres d’exception, non contribuables, qu’il dénommait : les Contrôleurs. Vis-à-vis des contrôleurs, il était un peu pleutre. Il nous répétait :
— Ils m’en veulent et cherchent à me casser. Je compte sur vous, mes amis, évitons les erreurs : nous marchons la main dans la main.
Cela me faisait sourire. Je ne me voyais pas du tout marcher main dans la main de ce bonhomme.
— Ils m’en veulent et cherchent à me casser. Je compte sur vous, mes amis, évitons les erreurs : nous marchons la main dans la main.
Cela me faisait sourire. Je ne me voyais pas du tout marcher main dans la main de ce bonhomme.
quotation
Jamais je n’ai connu un être plus sale. Penser à lui m’affole. Recette : prenez une parcelle de vérité dénaturée, enveloppez-la dans un tissu de mensonges raffinés, mettez tremper ce produit dans cinq litres de bave jalouse, versez là-dessus cent grammes de haine diabolique, cent grammes de machiavélisme concentré, cent grammes d’extrait vindicatif, cent grammes d’ambition dévorante, n’omettez pas cinq cents grammes de pensées à tournure pornographique, malaxez, brassez le tout à l’ombre en y ajoutant quelques matières impalpables mais très efficaces, soit cent grammes d’extrait d’influence sur autrui, cent grammes de vanité, cent grammes de vantardise, plus quelques clins d’œil pervers et quelques autres choses dont je parlerai plus tard, et vous obtiendrez un venin inoffensif en comparaison de celui qui remplissait l’âme de Dupéché.
folie
Je me souviens d’un film. Dans la caverne du nain, le jeune Siegfried s’est forgé une épée. Il la trouve belle, la tend devant lui, jette en l’air une plume, la reçoit sur le tranchant, et la plume continue de tomber, coupée tout bonnement en deux. J’ai réfléchi à cette plume. Certains esprits n’ont pas de fil. L’idée tombe dessus et s’accroche bêtement, flocon de neige sur une branche. Sur d’autres, l’idée se divise. Une idée tombait, en voici deux. Papa me le reprochait à sa façon :
— Tu coupes les cheveux en quatre.
Plumes en deux, cheveux en quatre, on pense double, on souffre en plus fin, même pour des niaiseries. Mais est-on fou ?
Je connais quelques jeunes gens. Ils ont étudié, ils savent tout, ils ont des guides sûrs, ils s’adossent à des principes solides, en marbre : des colonnes. Belle bleue ratée, je ne sais rien. Mes colonnes cèdent dans mon dos comme de la toile peinte. Je le regrette et je me fiche par terre. Est-ce être fou ?
Par malheur ou niaiserie, je n’ai pas poussé très avant mes études. Néanmoins, je lisais. M’en a-t-on fait le reproche ! Je lisais trop, je lisais des choses trop savantes, je lisais des choses « à me tournebouler la tête ». Peut-être. Un livre, le voir m’émeut déjà. Je dois l’ouvrir, en attraper une page, une phrase, un mot, ajouter à la mienne ce rien de la pensée d’autrui. J’ai lu Pascal ; j’ai lu Montaigne. J’ai trouvé, chez les deux, une même idée : la planche au-dessus du gouffre, ou la poutre entre les deux tours de Notre-Dame d’une grosseur telle qu’il nous la faudrait pour marcher dessus si elle était à terre et dont l’idée donne déjà le vertige. Les tours de Notre-Dame, c’est bien haut ? J’ai connu de ces planches niaisement – oui, je dis : niaisement – couchées par terre, dans l’au jour le jour de la vie et j’ai passé dessus, en plein vertige ! Est-ce être fou ?
— Tu coupes les cheveux en quatre.
Plumes en deux, cheveux en quatre, on pense double, on souffre en plus fin, même pour des niaiseries. Mais est-on fou ?
Je connais quelques jeunes gens. Ils ont étudié, ils savent tout, ils ont des guides sûrs, ils s’adossent à des principes solides, en marbre : des colonnes. Belle bleue ratée, je ne sais rien. Mes colonnes cèdent dans mon dos comme de la toile peinte. Je le regrette et je me fiche par terre. Est-ce être fou ?
Par malheur ou niaiserie, je n’ai pas poussé très avant mes études. Néanmoins, je lisais. M’en a-t-on fait le reproche ! Je lisais trop, je lisais des choses trop savantes, je lisais des choses « à me tournebouler la tête ». Peut-être. Un livre, le voir m’émeut déjà. Je dois l’ouvrir, en attraper une page, une phrase, un mot, ajouter à la mienne ce rien de la pensée d’autrui. J’ai lu Pascal ; j’ai lu Montaigne. J’ai trouvé, chez les deux, une même idée : la planche au-dessus du gouffre, ou la poutre entre les deux tours de Notre-Dame d’une grosseur telle qu’il nous la faudrait pour marcher dessus si elle était à terre et dont l’idée donne déjà le vertige. Les tours de Notre-Dame, c’est bien haut ? J’ai connu de ces planches niaisement – oui, je dis : niaisement – couchées par terre, dans l’au jour le jour de la vie et j’ai passé dessus, en plein vertige ! Est-ce être fou ?
quotation
Je ne me rappelle plus au juste comment cela se passa. Le travail de la pensée est sournois. On s’imagine des faits, on se les raconte, un peu de vrai, beaucoup de faux. Un beau jour, je me trouvai devant une histoire où tout fut vrai.
quotation
La nuit passait. Une heure, deux heures. Que faisait la Reine ? Comment se résigner à dormir, quand peut-être comme moi, elle écoutait sonner les heures. Un soir, elle avait levé le doigt vers une étoile : notre étoile, le rendez-vous où nos regards se retrouvaient.
quotation
Quand j’expliquais mon isba, mes camarades ne me comprenaient guère. À la vérité, je ne les comprenais pas davantage. Communier pour eux, c’était étrenner un costume, recevoir des cadeaux, rouler en voiture, se trouver à la place d’honneur à table entre beaucoup d’invités.
— Moi, m’avait dit mon voisin, je recevrai une montre. J’en veux une plate.
Je réserve pour plus tard mon appréciation sur ce voisin. C’était notre aîné à tous : un long maigre, répugnant, les doigts toujours souillés d’encre et de boue. Je ne sais pourquoi M. le Curé l’avait placé sur mon banc. Il s’appelait Dupéché. J’avais beau me dire : « Il n’a pas choisi son nom », quand on l’interpellait : « Et vous, qu’est-ce qu’un sacrement, Dupéché ? » je me reculais avec un frisson. Avais-je, comme voisin, un Dupéché véniel, un Dupéché mortel, ou plus gravement un Dupéché contre le Saint-Esprit ?
— Moi, m’avait dit mon voisin, je recevrai une montre. J’en veux une plate.
Je réserve pour plus tard mon appréciation sur ce voisin. C’était notre aîné à tous : un long maigre, répugnant, les doigts toujours souillés d’encre et de boue. Je ne sais pourquoi M. le Curé l’avait placé sur mon banc. Il s’appelait Dupéché. J’avais beau me dire : « Il n’a pas choisi son nom », quand on l’interpellait : « Et vous, qu’est-ce qu’un sacrement, Dupéché ? » je me reculais avec un frisson. Avais-je, comme voisin, un Dupéché véniel, un Dupéché mortel, ou plus gravement un Dupéché contre le Saint-Esprit ?
quotation
Quoi encore ? J’ai un ami, Charles, mon ancien camarade d’école. J’en parlerai. Les cubes et les roues m’ont mené moins loin que lui. J’ai lâché tout. Pour être libre, j’ai déchargé les bateaux sur les quais. Un sac sur le dos, une planche sous mes pieds, l’eau dans le bas et dans ma tête la poutre de Montaigne : le plein vertige. Je suis rentré à la maison, peu fier. Papa m’a dit :
— Fini de rire.
Voilà ! C’est avec ces mots comme viatique, que j’entrai dans la vie réelle.
— Fini de rire.
Voilà ! C’est avec ces mots comme viatique, que j’entrai dans la vie réelle.
quotation
Un autre jour, papa dit à maman :
— La femme de Maryan m’a écrit.
J’attendis. On se tournerait vers moi : « Tu es attendu aux vacances. » Rien. Le bourreau s’amusait cruellement à se taire. Je ne découvris pas la lettre. Plus tard, j’en trouvai une autre. Je lus, relus : pas un mot pour Marcel. Ah ?… J’avais un an de plus. Je réfléchis. Tout n’était donc pas vrai dans mon rêve ? Oh ! il ne s’agissait pas de moi. J’avais juré : à jamais. Le vœu était sacré. Ce serait à jamais. Mais elle ? Mes souvenirs, ses signes m’affirmaient : « Elle t’aime » ; sa lettre, et peut-être la précédente : « Elle t’oublie ». elle t’aime, elle t’oublie : je marchais en plein vertige sur ma planche. À quoi m’accrocher ? En étudiant les cubes j’avais pris l’habitude des raisonnements géométriques. J’en composai un : « Varia m’a-t-elle fait signe ? Oui. Ces signes indiquent-ils un pacte ? Oui. Ce pacte sous-entend-il son amour ? Oui. Quelque chose a-t-il pu éteindre cet amour ? Non. Donc, je dois être tranquille : elle m’aime. Ce qu’il faut démontrer. »
Quand le doute survenait, je récitais la phrase. Je devais la réciter d’un trait, à la façon d’un théorème, et penser avec force au sens de chaque mot. Si je m’embrouillais, il me fallait recommencer. Si j’arrivais à bonne fin, le doute avait eu le temps de me rattraper, je recommençais encore. Recommencer comme pour mes prières, comme plus tard mes additions, comme ici je m’envoie le pouce dans l’œil et recommence. Autant que mes lèvres, mon cerveau ne cessait de bouger.
— Que marmonnes-tu, petit ?
— Je répète ma leçon.
— Comme ces études te fatiguent.
— La femme de Maryan m’a écrit.
J’attendis. On se tournerait vers moi : « Tu es attendu aux vacances. » Rien. Le bourreau s’amusait cruellement à se taire. Je ne découvris pas la lettre. Plus tard, j’en trouvai une autre. Je lus, relus : pas un mot pour Marcel. Ah ?… J’avais un an de plus. Je réfléchis. Tout n’était donc pas vrai dans mon rêve ? Oh ! il ne s’agissait pas de moi. J’avais juré : à jamais. Le vœu était sacré. Ce serait à jamais. Mais elle ? Mes souvenirs, ses signes m’affirmaient : « Elle t’aime » ; sa lettre, et peut-être la précédente : « Elle t’oublie ». elle t’aime, elle t’oublie : je marchais en plein vertige sur ma planche. À quoi m’accrocher ? En étudiant les cubes j’avais pris l’habitude des raisonnements géométriques. J’en composai un : « Varia m’a-t-elle fait signe ? Oui. Ces signes indiquent-ils un pacte ? Oui. Ce pacte sous-entend-il son amour ? Oui. Quelque chose a-t-il pu éteindre cet amour ? Non. Donc, je dois être tranquille : elle m’aime. Ce qu’il faut démontrer. »
Quand le doute survenait, je récitais la phrase. Je devais la réciter d’un trait, à la façon d’un théorème, et penser avec force au sens de chaque mot. Si je m’embrouillais, il me fallait recommencer. Si j’arrivais à bonne fin, le doute avait eu le temps de me rattraper, je recommençais encore. Recommencer comme pour mes prières, comme plus tard mes additions, comme ici je m’envoie le pouce dans l’œil et recommence. Autant que mes lèvres, mon cerveau ne cessait de bouger.
— Que marmonnes-tu, petit ?
— Je répète ma leçon.
— Comme ces études te fatiguent.