Un autre jour, papa dit à maman :
— La femme de Maryan m’a écrit.
J’attendis. On se tournerait vers moi : « Tu es attendu aux vacances. » Rien. Le bourreau s’amusait cruellement à se taire. Je ne découvris pas la lettre. Plus tard, j’en trouvai une autre. Je lus, relus : pas un mot pour Marcel. Ah ?… J’avais un an de plus. Je réfléchis. Tout n’était donc pas vrai dans mon rêve ? Oh ! il ne s’agissait pas de moi. J’avais juré : à jamais. Le vœu était sacré. Ce serait à jamais. Mais elle ? Mes souvenirs, ses signes m’affirmaient : « Elle t’aime » ; sa lettre, et peut-être la précédente : « Elle t’oublie ». elle t’aime, elle t’oublie : je marchais en plein vertige sur ma planche. À quoi m’accrocher ? En étudiant les cubes j’avais pris l’habitude des raisonnements géométriques. J’en composai un : « Varia m’a-t-elle fait signe ? Oui. Ces signes indiquent-ils un pacte ? Oui. Ce pacte sous-entend-il son amour ? Oui. Quelque chose a-t-il pu éteindre cet amour ? Non. Donc, je dois être tranquille : elle m’aime. Ce qu’il faut démontrer. »
Quand le doute survenait, je récitais la phrase. Je devais la réciter d’un trait, à la façon d’un théorème, et penser avec force au sens de chaque mot. Si je m’embrouillais, il me fallait recommencer. Si j’arrivais à bonne fin, le doute avait eu le temps de me rattraper, je recommençais encore. Recommencer comme pour mes prières, comme plus tard mes additions, comme ici je m’envoie le pouce dans l’œil et recommence. Autant que mes lèvres, mon cerveau ne cessait de bouger.
— Que marmonnes-tu, petit ?
— Je répète ma leçon.
— Comme ces études te fatiguent.