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folie

  Autre chose. Fou à demi, j’aimerais mieux être fou en entier. Toujours la belle bleue ratée ! J’ai besoin que les choses soient totales, qu’elles durent, qu’elles soient avec plénitude, certitude, ce qu’elles sont. Si j’aimais, je voudrais aimer pleinement. Aimer avec mes doigts, avec mes yeux, avec ma bouche, avec mon âme, avec tout ce que renferment mon esprit et mon corps. Toujours, jamais : voilà des mots que je comprends ! Ce qui passe, ce qui ne dure pas, ce qui est incertain, ce qui arrivera peut-être, ce qui arrivera plus tard : je suis en plein vertige sur ma poutre. Ce qu’un de mes amis appelait : « Tes petits scrupules d’absolu ». Et ces scrupules, si je les accroche à Dieu ? Dieu ou Pas-Dieu, le monde tourne autour de cet axe. Des prêtres sont devenus prêtres parce qu’ils croyaient en lui, tout à coup ils ne croient plus. Des savants le nient, puis l’affirment. Comment savoir ? Qu’il existe, nom de nom, ou qu’il n’existe pas, mais que l’on soit fixé. Un jour, je me dis : « Peut-être oui », le lendemain « Peut-être non ». Jamais un Tout-oui, un Tout-non. S’interroger là-dessus, ne pouvoir s’en empêcher, est-ce être fou ?
  J’en arrive aux phénomènes extérieurs, ceux qu’un chacun peut voir. Quand je suis sérieux, je les appelle « mes mouvements » ; quand je plaisante « mes bêtises ». Entre parenthèses, si j’étais fou, dirais-je jamais : « mes bêtises » ? Voici. Si je parle d’un petit bonhomme qui est dans ma tête, entendons-nous : il n’y a pas de petit bonhomme dans ma tête. Les choses se passent comme s’il y était. Il commande, j’obéis. Tout à coup, c’est irrésistible : ma main se lève, je pointe mon pouce et dois l’enfoncer dans l’œil. Hif ! cela fait mal. L’œil droit est déjà entamé. Qu’arrivera-t-il, quand j’attaquerai le gauche ? Réagir ! Oui : c’est l’éternel conseil à ceux qui précisément ne peuvent réagir ! Quand je m’envoie le pouce, je me gronde : « Tu te blesses, tu es stupide ». Stupide ou non, il faut. Et le mouvement doit être bien fait.
  […]
  Bah ! ce sont des tics, les médecins l’affirment. Mais de grâce, que l’on se dispense de les arrêter dans une camisole de force. C’est comme si la plume sur le point de se partager, ne se partageait pas. Ce que l’on défend à mon pouce, ma pensée l’accomplit. C’est autrement pénible.