Eh ! je vous entends, Monsieur mon lecteur improbable. Je radote, je ne vous intéresse pas. Des faits, des faits, vous voulez des faits. Ou, comme je vous l’ai promis, des niaiseries. Le reste est neutre, pâle, blanc. Blanc ? Permettez ! Quand vous êtes au cinéma devant l’écran, que voyez-vous d’abord ? Vous voyez du blanc : une nappe de lumière blanche. Comment, sans ce blanc, distingueriez-vous le noir que sont les personnages ? Eh bien ! j’ai projeté ma lumière blanche. Les personnages peuvent venir. Attention ! voici papa.
Papa, tel qu’il se présente, est un singulier bonhomme. Long, maigre, le nez qui coupe, les oreilles qui s’écartent. Il s’assied sur le bord de mon lit, me regarde, secoue la tête et sa bouche ne remue pas, puisqu’il ne dit rien. Ses oreilles, au contraire, s’agitent un peu. On dirait des ailes. Va-t-il s’envoler ? Non, les ailes sont trop faibles ou le corps est trop lourd. Que pense-t-il ? Que je suis un fou ? un imbécile ? En tout cas que je coûte de l’argent, alors que j’en pourrais gagner avec mes chiffres de haut en bas, de gauche à droite. Sur l’écran cela ne se voit pas : il ne m’aime pas, je ne l’aime pas, il me déteste. Je le sais, il le sait. Oh ! sans se le dire. Est-il besoin de se dire certaines choses ?
Voici maman. J’adore maman. Je voudrais que tout le monde aimât maman. Je lui ressemble. Elle m’a donné ses yeux, des yeux inquiets trop grands ; son front, un beau front, large et fort, ridé chez elle, uni chez moi, avec une mèche noire qui lui fait dire : « Mon petit Napoléon ». Piteux Napoléon ! Elle est menue, fragile, blanche ; une porcelaine craquelée. N’y touchez pas : elle est brisée. Pardon ! On plaisante toujours un peu sa maman. À peine entrée, elle a déployé son mouchoir, m’embrasse, étale sur mon lit des poires, des raisins, des bonbons, pleure. Elle restera pendant deux heures : pendant deux heures elle pleurera. À la maison, elle pleurera pendant les autres heures. À cause de moi. Pauvre maman !