OPiCitations
jouet
De nos jours, les jouets sont tellement sophistiqués qu’ils peuvent s’amuser entre eux.
jouet
Que les jouets français préfigurent littéralement l’univers des fonctions adultes ne peut évidemment que préparer l’enfant à les accepter toutes, en lui constituant avant même qu’il réfléchisse l’alibi d’une nature qui a créé de tout temps des soldats, des postiers et des vespas. Le jouet livre ici le catalogue de tout ce dont l’adulte ne s’étonne pas : la guerre, la bureaucratie, la laideur, les Martiens, etc. Ce n’est pas tant, d’ailleurs, l’imitation qui est signe d’abdication, que sa littéralité : le jouet français est comme une tête réduite de Jivaro, où l’on retrouve à la taille d’une pomme les rides et les cheveux de l’adulte. Il existe par exemple des poupées qui urinent ; elles ont un œsophage on leur donne le biberon, elles mouillent leurs langes ; bientôt, sans nul doute, le lait dans leur ventre se transformera en eau. On peut par là préparer la petite fille à la causalité ménagère, la « conditionner » à son futur rôle de mère. Seulement, devant cet univers d’objets fidèles et compliqués, l’enfant ne peut se constituer qu’en propriétaire, en usager, jamais en créateur ; il n’invente pas le monde, il l’utilise : on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie. On fait de lui un petit propriétaire pantouflard qui n’a même pas à inventer les ressorts de la causalité adulte ; on les lui fournit tout prêts : il n’a qu’à se servir, on ne lui donne jamais rien à parcourir. Le moindre jeu de construction, pourvu qu’il ne soit pas trop raffiné, implique un apprentissage du monde bien différent : l’enfant n’y crée nullement des objets significatifs, il lui importe peu qu’ils aient un nom adulte : ce qu’il exerce, ce n’est pas un usage, c’est une démiurgie : il crée des formes qui marchent, qui roulent, il crée une vie, non une propriété ; les objets s’y conduisent eux-mêmes, ils n’y sont plus une matière inerte et compliquées dans le creux de la main.
(Jouets)
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