Il me faut maintenant expliquer par quels moyens extraordinaires les philosophes se reproduisent.
Voici : ils ne pénètrent pas, ils se retirent. Ce retrait porte un nom : la mélancolie.
On peut définir la mélancolie comme une maladie de la solitude. L’atrabilaire se met volontairement à l’écart. C’est alors que se produit le miracle de la vie contemplative. Au fond de la solitude, mille liens se créent. Le handicap devient une force. La maladie qui isole devient la maladie qui relie. Les mélancoliques, que la bile noire intoxique, se reconnaissent dans la grande famille des adeptes de Saturne, porteurs de luths constellés.
Un corps collectif se crée, qui défie le temps. Membres de ce lignage, les philosophes se reproduisent entre eux, sans sexe, par des moyens complexes qui s’appellent affiliation, agrégation, amitié.
Leurs matrices s’appellent écoles, banquets, salons, universités. Et voilà comment se reproduit l’espèce sans liens du sang ! Philosopher, c’est s’affilier à des pères spirituels, c’est faire comme si on pouvait se passer de mères. Se reproduire sans utérus, mais en esprit, sans semence, mais avec le pneuma.
Est donc nécessaire une race spéciale de célibataires et de chastes individus qui décident de ne pas procréer, de refuser les joies douteuses du mariage et de se consacrer à la transmission des connaissances c’est-à-dire à la culture.
Sans ce genre d’hommes, l’humanité serait un vil troupeau sans mémoire autre que génétique, une espèce animale parmi d’autres, une simple volonté collective de persévérer dans son être et de proliférer.