6.11.92 Minuit 08
Au début de la soirée, je me suis senti amer, découragé, déboussolé, rongé jusqu’à l’os. Mon grand âge n’explique pas pareille débandade même s’il en est l’une des causes. J’en rendrais plus volontiers responsable la conviction que la foule, la multitude – cette Humanité avec laquelle je n’ai cessé d’entretenir des rapports conflictuels –, en un mot, la masse, s’apprêtent à me damer le pion. Et ce sans s’être un seul instant donné la peine de changer sa manière de faire. Car la foule n’invente jamais. Et rien ne peut lui titiller l’âme. De sorte qu’elle m’aura contraint à la fuir sans relâche, mais qu’elle va quand même me passer par-dessus. S’il m’avait été donné, une seule fois, de rencontrer UN être vivant en mesure de faire ou de dire quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire, je me serais promptement rangé à ses côtés. Mais la foule ânonne et sue la bêtise. Elle n’est porteuse d’aucun espoir. Elle voit, elle entend, elle parle, elle crie mais pour quel résultat… sinon le néant ? Elle voudrait incarner la vie alors qu’elle se recroqueville sur elle-même en s’inventant un pouvoir illusoire.
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