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télévision

La violente baisse d’audience que l’on constate aujourd’hui sur TF1 et d’autres médias de masse a une causse triviale : l’extrême médiocrité des programmes, qui deviennent de plus en plus pulsionnels, finit par engendrer le dégoût des téléspectateurs. Déjà, en 2004, 56 % d’entre eux déclaraient au cours d’une enquête menée par Télérama ne pas aimer la télévision qu’ils regardent – et qu’ils ne continuent de regarder « que » parce qu’ils en sont devenus dépendants. La télévision se substituant aux relations interindividuelles, celles-ci s’éteignent lentement mais sûrement, et il en résulte un désert affectif où, si vous coupez le récepteur, la misère familiale apparaît pour ce qu’elle est : insupportable.
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Les médias sont de nos jours tous soumis au marketing – et à « la tyrannie de l’audience quart d’heure par quart d’heure », pour reprendre des mots de Sarkozy sur France 3 – du fait de leur financement par la publicité. Il faut les contraindre à développer une autre utilité sociale, et par-là même, à trouver d’autres ressources que la publicité. Et il faut progressivement et législativement diminuer la part de celle-ci dans les budgets des médias, publics aussi bien que privés. […]
Parallèlement à la diminution des recettes publicitaires, l’État doit lui-même lancer des programmes d’édition multimédia dans le domaine éducatif, constituant des marchés publics comme le furent en leur temps les manuels scolaires, moteur économique extraordinaire pour le développement de l’édition française : tel fut le génie de Jules Ferry.
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Les consommateurs désirent de moins en moins, mais dépendent de plus en plus de besoins artificiellement produits, qui sollicitent toujours plus leurs comportements pulsionnels aux dépends de leur libido, c’est-à-dire de leur désir.
C’est ainsi que le téléspectateurs tend à devenir dépressif (la dépression est précisément une perte de désir) et que les médias deviennent eux-mêmes massivement pulsionnels et populistes : ils cherchent à tirer le « temps de cerveau disponible » vers le bas, c’est-à-dire qu’ils l’encouragent à suivre une pente naturelle, contre laquelle lutte toute élévation culturelle et toute éducation. […]
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Le premier à avoir théorisé le psychopouvoir que servent les médias de masse est un neveu de Freud, Edward Bernays. […] On découvrait alors que pour toucher les gens, il fallait solliciter l’inconscient et non leur conscience. Bernays inventa une technique de captation du désir, qu’il appela public relations, l’ancêtre du marketing, et qui visait à détourner l’individu des objets producteurs de son désir (sa mère, son père, sa femme, ses enfants, son travail, son investissement politique, sa religion, en bref, tous ses objets d’investissement affectif) pour amener ce désir vers les marchandises.
Le psychopouvoir est ce qui constitue ainsi une économie libidinale consumériste. Le problème est que cette économie est autodestructrice : en court-circuitant les milieux, fonctions et structures symboliques où sont les objets producteurs du désir individuel, elle est devenue un obstacle au développement et au fonctionnement de l’appareil psychique, c’est-à-dire de la transformation des pulsions en désir. Le désir est en effet ce qui, par structure, diffère la satisfaction de la pulsion. Et l’éducateur est celui qui apprend à celui qu’il élève ainsi à trouver plus de plaisir dans le désir que dans la pulsion. Cependant, chacun d’entre nous est toujours prêt à désapprendre cette différence entre désir et pulsion, et c’est cette tendance régressive qu’exploite aujourd’hui le psychopouvoir en désapprenant le désir – et en installant ainsi une véritable bêtise systémique, à laquelle personne n’échappe tout à fait.