— Vous êtes saoul de malheur. Qu’est-ce que vous avez fait ?
— … Je n’ai pas pu partir. Je lui avais promis de partir loin, pour ne pas être tenté de courir là-bas et… Je n’ai pas pu. Je suis ce qu’on appelle un faible, et chez nous, les faibles, lorsqu’on aime une femme, ça devient d’une telle… force que… lorsqu’elle est obligée de mourir pour des raisons… techniques, oui, des raisons d’organes assez abominables… parce qu’on s’en est aperçu trop tard et… Je vous disais, je crois, que chez nous, les faibles, l’amour, les séparations définitives, indépendantes de notre volonté, ces véritables abus de pouvoir… prennent des dimensions effrayantes de… de tendresse. Je pense que vous êtes peut-être une femme forte, je ne sais pas, je ne vous connais pas, alors, excusez-moi de vous avoir dérangée. Je ne puis, madame – remarquez encore une fois que je vous dis « madame », pour bien marquer que nous nous sommes étrangers – je ne puis, madame, que me réclamer de la faiblesse, parce que la force, madame, je pense qu’elle n’est pas du côté des faibles – vous noterez que je viens de faire là un bon mot, et que je ne suis pas sans ironie ni donc sans ressources…
Un silence. Je crus qu’elle avait raccroché. Une femme forte. Puis j’entendis sa voix :
— Où êtes-vous ?