C’est dommage, parce que je suis dans les statistiques et il n’y a rien de plus mauvais pour la solitude. Lorsque vous passez vos journées à compter par milliards, vous rentrez à la maison dévalorisé, dans un état voisin du zéro. Le nombre 1 devient pathétique, absolument paumé et angoissé, comme le comique bien triste Charlie Chaplin. Chaque fois que je vois le nombre 1, j’ai envie de l’aider à s’échapper. Ça n’a ni père ni mère, c’est sorti de l’assistance publique, il s’est fait tout seul et il a constamment à ses trousses, derrière, le zéro qui veut le rattraper, et devant, toute la mafia des grands nombres qui le guettent. 1, c’est une sorte de certificat de prénaissance avec absence de fécondation et d’ovule. Ça rêve d’être 2, et ça ne cesse de courir sur place, à cause du comique. C’est les micro-organismes. Je vais toujours au cinéma pour voir les vieux films de Charlot, avec son petit chapeau et sa badine, poursuivi par le gros zéro qui le menace avec cet œil rond qui vous regarde et qui fait tout ce qu’il peut pour empêcher 1 de devenir 2. Il veut que 1 ce soit cent millions, il veut pas moins, parce que, pour que ce soit rentable, il faut que ce soit démographique. Sans ça, ce serait une mauvaise affaire et personne n’irait s’investir dans les banques de sperme. C’est comme ça que Charlot est tout le temps obligé de fuir, et il se retrouve toujours seul, sans fin et sans commencement. Je me demande ce qu’il mange.
La vie est une affaire sérieuse, à cause de sa futilité.