Je ne reproche aucunement à la guerre que je doive tuer quelqu’un ou que je puisse être tué sans raison, tout cela n’a que peu d’importance. Ce que je lui reproche, c’est de m’empêcher de rester assis dans une petite chambre pour crever la dalle, picoler du vin dégueulasse et délirer à ma façon, quand j’en ai envie.
Je ne voulais pas me réveiller au son de la trompette. Je ne voulais pas dormir dans une caserne avec une bande de jeunes Américains pleins de santé obsédés frustrés amateurs de football suralimentés masturbateurs aimant les vannes lourdingues adorables trouillards roses accrochés à leur maman modeste jouant au basket, avec qui je devrais faire ami-ami, avec qui je devrais me farcir à longueur de journée, et dont je devrais écouter les innombrables plaisanteries salaces, grossières et chiantes. Leurs couvertures, leurs uniformes et leur humanité me donnaient de l’urticaire. Je ne voulais pas chier au même endroit qu’eux, pisser au même endroit qu’eux ni partager les mêmes putains qu’eux. Je ne voulais pas voir leurs ongles de pied ni lire les lettres de leurs parents. Je ne voulais pas voir leurs culs tressauter devant moi en formation serrée, je ne voulais pas copiner avec eux, je ne voulais pas m’en faire des ennemis, je ne voulais tout bonnement pas d’eux, ni de ça ni de rien de tel. Tuer ou être tué, c’était accessoire.
(Guerre et taule)