AVANT-PROPOS
Adieu au roman, à l’équilibre, à la santé. Bonjour, les anges !
OPiCitations
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Avec ta façon de défendre les gens, surtout quand tu n’as aucun droit de le faire, tu me fais jouer le mauvais rôle.
[…]
— Tu vois cette femme, là-bas, avec les cheveux blancs ? S’il y a une chose que je déteste au monde, c’est bien les garces dans son genre, tout sucre et tout miel. Ça ne voit que le bien partout. Si on se conduit mal avec elle, si on l’insulte, elle vous trouvera des excuses… Elle vous expliquera que vous ne pensez pas vraiment ce que vous dites. Elle dégouline de bons sentiments, cette vieille rombière, elle vous en inonde. Je déteste ces gens-là. Et je te déteste, quand tu prend la défense de gens dont tu ne sais rien.
[…]
— Tu vois cette femme, là-bas, avec les cheveux blancs ? S’il y a une chose que je déteste au monde, c’est bien les garces dans son genre, tout sucre et tout miel. Ça ne voit que le bien partout. Si on se conduit mal avec elle, si on l’insulte, elle vous trouvera des excuses… Elle vous expliquera que vous ne pensez pas vraiment ce que vous dites. Elle dégouline de bons sentiments, cette vieille rombière, elle vous en inonde. Je déteste ces gens-là. Et je te déteste, quand tu prend la défense de gens dont tu ne sais rien.
ange
Ce n’est pas tant la pureté de l’ange que le fait qu’il a des ailes.
bureaucratie
C’étaient les habituelles questions idiotes qui, plus que les réponses, appellent le coup de tampon, le cachet officiel, et le paraphe illisible de témoins illégitimes.
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C’était on ne peut plus clair. Il arrive un moment où le contact de la réalité devient si aigu que l’on n’est plus un simple individu tourmenté par telle ou telle situation, mais une chair vivante que l’on découpe en tranches… Ce qui, un instant auparavant, semblait être une planète habitée, une splendeur palpitante dans un univers de ténèbres, se transforme soudain en une chose morte comme la lune, brûlant d’un feu glacé. En de tels instants, tout nous est dévoilé – la signification des rêves, la sagesse qui précède la naissance, la survivance de la foi, l’absurdité qu’il y a à être un dieu, etc.
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– Elle n’est pas là, fit une voix agressive. Clac. L’écouteur cliqueta comme un pistolet automatique. Il secoua la fourche. « Allô ! Allô ! » Il avait dans l’oreille le murmure des planètes lointaines, dérivant dans le vide moelleux de l’éther. Ce n’est pas la peine, se dit-il, nous suivons des orbites différents. Le monde n’était qu’un champ d’énergie aveugle, dans lequel microcosme et macrocosme évoluaient selon les caprices d’un monarque fou.
En arrivant à Hyde Park, il était ivre de bien-être. Il sentait le flux et le reflux du sang clair dans ses veines. Au rythme d’un balancier d’horloge, il le sentait monter, descendre, dilatant son cœur, submergeant sa vision, il en sentait la palpitation dans ses membres. Du sang fluide, rouge, éclatant : euphorique, il rendait les hommes sages, lucides, sains d’esprit ; dilué, il apportait la mollesse, les névroses, le désespoir et le vague à l’âme ; coagulé, il provoquait les scintillements diaprés du solipsisme, la terreur de l’épilepsie et du choléra, les hiérarchies de caste, l’ampleur incommensurable de la folie. En un seul globule rouge se trouvaient réunies assez d’énigmes pour confondre toutes les universités scientifiques. Les hommes naissaient dans le sang, et dans le sang ils mouraient. Le sang était puissant, fécond, magique. Le sang était une extase de souffrance et de beauté, un miracle de destruction créatrice, un atome de l’essence divine, peut-être l’essence divine elle-même. Là où coulait le sang, la vie était forte. Là où un chant s’élevait, le sang coulait, et là où la foi s’élevait, le sang coulait. Le sang coulait dans un coucher de soleil, dans les fleurs des champs, dans le regard des maniaques et des prophètes, dans le feu des pierres précieuses. Partout où étaient la vie et les chants, l’ivresse, la foi et le triomphe, était le sang.
En arrivant à Hyde Park, il était ivre de bien-être. Il sentait le flux et le reflux du sang clair dans ses veines. Au rythme d’un balancier d’horloge, il le sentait monter, descendre, dilatant son cœur, submergeant sa vision, il en sentait la palpitation dans ses membres. Du sang fluide, rouge, éclatant : euphorique, il rendait les hommes sages, lucides, sains d’esprit ; dilué, il apportait la mollesse, les névroses, le désespoir et le vague à l’âme ; coagulé, il provoquait les scintillements diaprés du solipsisme, la terreur de l’épilepsie et du choléra, les hiérarchies de caste, l’ampleur incommensurable de la folie. En un seul globule rouge se trouvaient réunies assez d’énigmes pour confondre toutes les universités scientifiques. Les hommes naissaient dans le sang, et dans le sang ils mouraient. Le sang était puissant, fécond, magique. Le sang était une extase de souffrance et de beauté, un miracle de destruction créatrice, un atome de l’essence divine, peut-être l’essence divine elle-même. Là où coulait le sang, la vie était forte. Là où un chant s’élevait, le sang coulait, et là où la foi s’élevait, le sang coulait. Le sang coulait dans un coucher de soleil, dans les fleurs des champs, dans le regard des maniaques et des prophètes, dans le feu des pierres précieuses. Partout où étaient la vie et les chants, l’ivresse, la foi et le triomphe, était le sang.
horreur
Elle rêvait. Elle rêvait qu’elle avait rêvé tout ça. Mais lorsqu’elle s’éveilla, elle était toujours clouée, immobilisée, et il y avait des gens debout autour de son lit, des hommes et des femmes au visage mauvais, aux oreilles murées.
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Il abandonna tout effort pour suivre le fil de leurs paroles. Son regard s’était fixé sur le long cou blanc de Vanya, un cou d’oie qui vibrait comme une lyre. Doux et lisse, ce cou. Doux comme de la laine de vigogne. Si l’on vous jetait au bas d’un escalier, stupéfait, impuissant, avec le bruissement des chauves-souris à vos oreilles, et un cou comme celui-là auquel se retenir, s’accrocher, contre lequel prier… Si vous vous retrouviez soudain la bouche pleine de rhododendrons, une bouche étirée jusqu’aux oreilles, si vous aviez un orgue dans le ventre et des bras de gorille, des bras faits pour écraser, dans le blasphème et l’extase, si vous aviez toutes les ténèbres, toute la nuit pour vous y rouler, pour sacrer, pour vomir, et, près de vous, un cou qui vibre comme une lyre, un cou si doux, si lisse, un cou brodé d’yeux qui transperceraient le voile de l’avenir et parleraient une langue inconnue, une langue obscène, si…
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Il baissa les yeux sur son assiette. Il n’existait plus de tragédie, il n’existait plus que des désillusions. Il n’était pas à la hauteur. Il n’était pas romantique, comme le disait toujours Vanya. Un homme qui ne se tuait pas alors qu’il avait toutes les raisons de se tuer, c’était un homme décevant. Un tel homme continuerait à vivre, quand bien même on lui enterrerait les pieds dans la pelouse. Il continuerait à vivre, parce qu’il n’avait pas assez de cervelle pour mourir. Mourir, cela ne demandait pas tant de courage que d’imagination. Il vivait une existence amputée. On lui avait enlevé l’imagination. Et, sans imagination, un homme pouvait vivre éternellement, même si ça n’était plus un homme, même s’il n’avait plus ni bras ni jambes – tant qu’il restait des morceaux que l’on pouvait recoudre ensemble, et jeter dans un fauteuil roulant.
communication
Il n’y avait plus jamais fait allusion mais, comme pour lui montrer de quelle sottise il avait fait preuve, Hildred avait laissé des petits morceaux de l’enveloppe à terre, à côté de la cuvette des cabinets. C’était là leur manière de communiquer, dans les cas graves. Ils pouvaient régler toutes sortes de problèmes ainsi, c’était comme un code secret, mille fois plus efficace qu’un piètre discours d’explication.
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Il sentit une fatigue accablante l’envahir. Soudain, tout cela semblait d’une stupidité indicible. Ils étaient comme trois boules sur un billard. Avec la première bille, on prenait un angle, et si le mouvement du poignet s’accordait aux lois de la mécanique, de la balistique, de la trigonométrie et du reste, la bille rouge venait frapper la bille blanche, et toutes trois s’entrechoquaient avec un claquement sec. Et si elles s’entrechoquaient, cela vous donnait le droit de tirer de nouveau. Et si l’on parvenait à garder les trois billes réunies, si on les promenait, comme on dit, on avait droit à tant de coups en plus. Il choisit un coup long, ferma les yeux. Raté. C’était au tour de quelqu’un d’autre. Il demeura un moment à regarder la partie en silence, partagé entre leur discours absurde, mensonger, et la crainte qui s’agitait en lui.
Tout à coup, une remarque de Hildred l’atteignit par la bande, touchant un point sensible.
Tout à coup, une remarque de Hildred l’atteignit par la bande, touchant un point sensible.
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— Ils ont essayé de nous embrasser – tu te rends compte ? Nous étions dans le taxi, en train de parler de… (Elle se tourna vers Vanya.) De quoi discutions-nous, déjà ?
— Tu essayais d’expliquer ce qu’est le sadisme, répondit Vanya avec un pâle sourire.
— Oui, c’est cela – le sadisme… Je m’évertuais à faire entrer quelque chose dans leur esprit obtus, quand, tout à coup, je sens un bras qui se glisse autour de mon cou. C’était ce vieux dégoûtant, le capitaine. Il me dit que je dois lui donner un baiser, juste un petit baiser.
— Tu essayais d’expliquer ce qu’est le sadisme, répondit Vanya avec un pâle sourire.
— Oui, c’est cela – le sadisme… Je m’évertuais à faire entrer quelque chose dans leur esprit obtus, quand, tout à coup, je sens un bras qui se glisse autour de mon cou. C’était ce vieux dégoûtant, le capitaine. Il me dit que je dois lui donner un baiser, juste un petit baiser.
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Je crus, en la rencontrant, saisir la vie à pleines mains… Au lieu de quoi, la vie m’échappa complètement. Je tendais les bras vers quelque chose à quoi me raccrocher – et ne trouvais rien. Mais dans cette tentative, dans cet effort pour saisir quelque chose, perdu comme je l’étais, je trouvai néanmoins une chose que je n’avais pas cherchée : moi-même.
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La pièce tournait autour de lui ; il lui fallait regarder sa bouche pour comprendre ce qu’elle disait.
argent
La seule attitude à avoir envers l’argent est le dédain vorace.
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La sonnette retentit. Je ne bouge pas, se dit-il, je ne suis pas là. Un grattement se fit entendre à la fenêtre, puis des petits coups précipités. Il se leva, alla écarter le rideau. C’était son ami Dredge, un large sourire aux lèvres. Il traversa le vestibule en contrebas, et ouvrit la lourde porte. Dredge souriait toujours.
— Qu’est-ce que tu fabriques, tout seul, dans le noir ?
— Je réfléchissais, c’est tout.
— Tu réfléchissais ?
— Ouais, ça ne t’arrives pas, quelquefois ?
— Et tu as besoin de rester dans le noir, pour réfléchir ?
Il alluma une bougie, pendant que Dredge s’installait sur le siège le plus engageant, avec son éternel sourire réservé et courtois. C’étais son vingt-huitième anniversaire, et il avait bu un verre ou deux dans sa chambre avant de passer.
— Tu sais, déclara-t-il, ça rend les gens fous, de rester assis dans le noir, comme ça. Je vais te dire ce qu’on va faire. Tu vas m’accompagner à ma piaule, et on va boire un petit coup. Après, on sortira, et on fera la fête.
— Qu’est-ce que tu fabriques, tout seul, dans le noir ?
— Je réfléchissais, c’est tout.
— Tu réfléchissais ?
— Ouais, ça ne t’arrives pas, quelquefois ?
— Et tu as besoin de rester dans le noir, pour réfléchir ?
Il alluma une bougie, pendant que Dredge s’installait sur le siège le plus engageant, avec son éternel sourire réservé et courtois. C’étais son vingt-huitième anniversaire, et il avait bu un verre ou deux dans sa chambre avant de passer.
— Tu sais, déclara-t-il, ça rend les gens fous, de rester assis dans le noir, comme ça. Je vais te dire ce qu’on va faire. Tu vas m’accompagner à ma piaule, et on va boire un petit coup. Après, on sortira, et on fera la fête.
vérité
Le fait même qu’il existât des explications demandait à être expliqué.
mort
Les morts ne savent rien, et toute récompense leur sera refusée ; car leur mémoire est oubliée.
quotation
Les superbes femmes de New York… Où étaient-elles ? Sur les visages, il ne voyait s’étaler que la monotonie d’une rangée de tombes, surchargées de couronnes au parfum éventé ; elles allaient et venaient comme des poupées de son propulsées par une lampée de gin, des vierges de cire sans virginité, des maniaques des soldes démangées par le prurit de la possession, leur visage froid, calculateur, affichant en permanence la mention « À louer ».
personnalité
L’idée qu’elle pût avoir une personnalité multiple éveillait sa curiosité. Telle une actrice, elle était lasse de jouer toujours le même rôle, celui que le destin avait choisi pour elle. Elle ressemblait à tous ceux qui croient pouvoir, en changeant de nom ou d’adresse, modifier le cours imbécile de leur vie.
vie
Non pas vivre – si l’on peut appeler ainsi ce que font les autres –, mais m’exprimer.
sagesse
Notre corps physique possède une sagesse qui fait défaut à celui qui l’habite.
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Poser, c’est souvent comme assister à un concert. On s’endort confortablement installé dans une chambre à New York, pour se réveiller dans une fumerie d’opium de San Francisco ou de Shanghai. En chemin, on tue, on viole, on renverse des gratte-ciel, on fait du patin à glace sous les Tropiques, on donne des cacahuètes à des yacks, on joue les funambules au-dessus du pont de Brooklyn. Le peintre n’est pas à l’abri, lui non plus. Ses sourcils broussailleux se transforment en fougères, sa pupille devient un lac sur lequel flottent des temples et des cygnes, tandis que ses labyrinthes auriculaires rêvent de mythologie.
quotation
Sa robe tombait bas sur sa gorge, et montait haut sur ses jambes ; elle ne cessait de la retrousser, comme si elle craignait de trébucher. Lentement, avec mille précautions, elle descendit l’escalier, raide comme un piano de concert. Elle gardait un sourire figé sur les lèvres, qui évoquait le sourire des paralytiques.
conflit
Ses pensées jaillissaient, bondissant en avant, formant de larges tourbillons qui s’élevaient en une écume éblouissante avant de retomber, entraînés dans une chute mousseuse. Tout ce que l’on pouvait espérer de cette lutte incessante, c’était la victoire de l’érosion. C’est ainsi que, confusément, le conflit se dessinait dans son esprit. Ses paroles étaient infiniment plus claires. C’était comme la différence qui existe, en musique, entre le son et l’écriture. Ce que sa langue exprimait n’était guère que la mélodie ténue qui maintenait cohérent cet extraordinaire tissu de pensées et de sentiments…
conflit
Une bataille s’était engagé. Ils se battaient, tous trois, ensemble, l’un contre l’autre, chacun contre soi-même, ils se battaient désespérément pour ne pas se battre.
écriture
Un enfant n’a pas besoin d’écrire, il est innocent.