OPiCitations
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« 17 mars 1933. Théorème de Kurt Gödel… Sainte Marie, Mère de Dieu, ayez pitié de nous ! »
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À l’instar de beaucoup de mathématiciens professionnels, Petros considérait qu’on faisait trop de publicité à la logique formelle – au centre de laquelle sont les mathématiques – et que le sujet était probablement dépourvu d’intérêt. À ses yeux, la sempiternelle recherche de fondements rigoureux, l’examen inlassable des principes de base étaient peu ou prou une perte de temps. Le dicton populaire : « Faut pas y mettre la main si ça marche ! » résumait parfaitement son attitude. Le travail d’un mathématicien consiste à éventuellement démontrer des théorèmes et non à ergoter sur leurs bases aussi indicibles qu’indiscutables.
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Dans son ouvrage classique, Nature de la découverte mathématiques, Henri Poincaré anéantit le mythe du mathématicien comme être entièrement raisonnable. S’appuyant sur des exemples tirés de l’histoire des sciences ou de sa propre expérience, il reconnaît le rôle du subconscient dans la recherche. Il est fréquent, selon lui, que de grandes découvertes soient le fruit du hasard, comme un éclair se manifestant dans un ciel serein, pendant une accalmie. Naturellement, de telles inspirations ne frappent que des esprits qui y auront été préparés par des mois, des années de travail conscient.
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— Eh bien, dis-moi ce que sont les mathématiques, à ton avis, me demanda-t-il.
Il avait mis l’accent sur les mots « à ton avis », comme pour souligner que ma réponse ne pourrait être qu’inexacte.
Je dévidai les lieux communs sur la « science absolue » et ses admirables applications dans le domaine de l’électronique, de la médecine et des découvertes spatiales.
L’oncle Petros se renfrogna.
— Mais si tu t’intéresses aux applications pratiques, pourquoi ne deviendrais-tu pas ingénieur ? Ou physicien ? Ce sont des gens qui s’occupent d’un certain genre de mathématiques.
Il mettait une nouvelle fois l’accent sur deux mots : de toute évidence il ne tenait pas ce « certain genre » en grande estime.
Il avait mis l’accent sur les mots « à ton avis », comme pour souligner que ma réponse ne pourrait être qu’inexacte.
Je dévidai les lieux communs sur la « science absolue » et ses admirables applications dans le domaine de l’électronique, de la médecine et des découvertes spatiales.
L’oncle Petros se renfrogna.
— Mais si tu t’intéresses aux applications pratiques, pourquoi ne deviendrais-tu pas ingénieur ? Ou physicien ? Ce sont des gens qui s’occupent d’un certain genre de mathématiques.
Il mettait une nouvelle fois l’accent sur deux mots : de toute évidence il ne tenait pas ce « certain genre » en grande estime.
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J’abordais le problème sous tous les angles. Souvent, quand je me sentais trop las pour tout raisonnement abstrait par déduction, j’étudiais des cas particuliers, de peur que l’oncle Petros ne m’eût pas tendu un piège en partant d’une hypothèse manifestement fausse.
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Le bonheur, par la vérité et la beauté accouplées, révélées par un théorème important, ne s’obtient dans aucune autre activité humaine, sauf peut-être dans le mysticisme – que sais-je ?
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L’obscurité n’est-elle pas plus profonde avant l’aube ?
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Mais pour les mathématiciens le temps n’est pas le même que pour le commun des mortels.
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Non, ce qui me fascinait, c’était qu’un personnage aussi doux, aussi effacé, en apparence aussi modeste que mon oncle était quelqu’un qui, des années durant et de son propre choix, avait mené un rude combat, aux confins de l’ambition humaine. Cet homme que je connaissais depuis toujours, ce parent si proche, avait consacré son existence à la solution de « l’un des problèmes les plus difficiles de l’histoire des mathématiques » ! Pendant que ses frères faisaient leurs études, se mariaient, élevaient des enfants, s’occupaient de l’entreprise familiale et s’usaient, comme le reste de l’humanité anonyme, dans le train-train quotidien du souci de pourvoir à sa subsistance, de la procréation et de la nécessité de tuer le temps, mon oncle, tel Prométhée, s’était efforcé d’éclairer l’un des recoins les plus sombres et les plus impénétrables de la connaissance.
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— « Nous devons savoir et nous saurons ! Il n’y pas place pour des ignorabimus en mathématiques. » C’est ce qu’a dit le grand David Hilbert au congrès international de 1900, la proclamation que les mathématiques sont le royaume de la vérité absolue. C’est la vision d’Euclide en somme, cohérence et complétude…
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Quiconque allègue que les savants – même les purs d’entre les purs, les mathématiciens les plus détachés et habitant des sphères ineffables – se préoccupent uniquement de la « Quête de la Vérité pour le plus grand Bien de l’Humanité » parle à tort et à travers – ou ment effrontément. Même habité de visions spirituelles sublimes et indifférent aux avantages matériels, tout membre de la communauté scientifique est animé par l’ambition et par un insatiable besoin de surmonter les épreuves. Dans le cas des mathématiques au sommet, le nombre de concurrents est si restreint que tout succès y prend des proportions incroyables. L’émulation se limitant à quelques happy few, à la fine fleur de ce milieu, elle devient une espèce de « gigantomachie », un duel de titans. L’intention déclarée d’un mathématicien au départ de nouvelles recherches peut fort bien être la découverte de la vérité, mais c’est à la renommée qu’il aspire dans ses rêves.
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Rien n’égalera jamais la solitude du mathématicien devant la tâche qu’il s’est imposée. Il vit enfermé dans un univers entièrement inaccessible, dans toute l’acceptation du terme, tant vis-à-vis du grand public que pour ses proches. Même ses intimes ne peuvent partager ses joies et ses peines puisqu’il leur est impossible d’en comprendre les causes.
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Voilà, les mathématiques n’ont rien à voir avec les applications pratiques, ni avec les méthodes de calcul qu’on t’enseigne au lycée. C’est l’étude de schémas intellectuels qui – du moins quand un mathématicien s’en occupe – n’ont aucune espèce de rapport avec le monde physique, le monde sensible.
— Ça me convient parfaitement, dis-je.
— Les mathématiciens, poursuivit-il, éprouvent le même plaisir dans leurs études qu’un joueur d’échecs dans une partie. En réalité l’attitude psychologique d’un véritable mathématicien est plus proche de celle d’un poète ou d’un compositeur, c’est-à-dire de quelqu’un qui a affaire avec la création de la Beauté, qui recherche l’Harmonie et la Perfection. Il se tient exactement aux antipodes de l’homme pratique, de l’ingénieur, du politicien ou de…
Il marqua une pause, cherchant un exemple encore plus répugnant dans son échelle de valeurs.
— … de l’homme d’affaires, oui, vraiment.
— Ça me convient parfaitement, dis-je.
— Les mathématiciens, poursuivit-il, éprouvent le même plaisir dans leurs études qu’un joueur d’échecs dans une partie. En réalité l’attitude psychologique d’un véritable mathématicien est plus proche de celle d’un poète ou d’un compositeur, c’est-à-dire de quelqu’un qui a affaire avec la création de la Beauté, qui recherche l’Harmonie et la Perfection. Il se tient exactement aux antipodes de l’homme pratique, de l’ingénieur, du politicien ou de…
Il marqua une pause, cherchant un exemple encore plus répugnant dans son échelle de valeurs.
— … de l’homme d’affaires, oui, vraiment.