OPiCitations
mathématique
Il faudrait absolument que la pédagogie soit centrée sur cet objectif : faire naître chez les enfants, les adolescents, et finalement chez tout le monde, le sentiment que ce qui est extraordinaire en mathématiques, c’est que, de façon parfois surprenante et imprévue, on résout des énigmes dont l’énoncé est tout à fait clair et précis, mais qui cependant sont de vraies énigmes.
mathématique
Il y a des structures qui se retrouvent dans tout ce qui existe. L’étude de ces structures en tant que telles, des possibilités structurales, est précisément l’enjeu des mathématiques.
[…]
[…] il y a un « contenu » réel de la pensée mathématique. Il ne s’agit ni d’un jeu de langage – même si des formalismes complexes sont requis –, ni d’une dépendance de la pure logique. […] la majorité des mathématiciens sont « platoniciens ». Ils ne croient pas à la deuxième thèse, celle du jeu de langage, du formalisme intégral, qui est en vérité une thèse de provenance plutôt philosophique. Ils croient que les objets ou structures mathématisables « existent » en un certain sens. Pourquoi cette conviction ? Certainement parce qu’ils ont trop d’expérience que « quelque chose » résiste lorsqu’on fait des mathématiques, qu’on se frotte à une réalité difficile, rebelle. Mais alors, qu’est-ce qui résiste ? […] le mathématicien […] a l’impression que le chemin qui conduit à la solution d’un problème […] est un chemin qui fait toucher un réel, qui est doté d’une sorte de complexité intrinsèque. La nature exacte de ce réel, c’est une autre discussion. Mais en tout cas on a le sentiment de toucher une réalité extérieure, au sens où elle n’est pas une simple fabrication de l’esprit. Sans cela, on ne comprend pas l’énorme difficulté et la résistance extraordinaire qu’on rencontre pour démontrer y compris certaines propriétés qui ont tout à fait l’apparence d’être élémentaires. […] Comment ne pas être convaincu que l’infinité des nombres naturels « existe », en un sens qu’il conviendrait d’éclaircir ?
Ma conclusion, proprement philosophique, c’est que, en réalité, les mathématiques sont tout simplement la science de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire ce que les philosophes appellent classiquement l’ontologie. Les mathématiques, c’est la science de l’ensemble de ce qui est, saisi à son niveau absolument formel ; et c’est la raison pour laquelle des inventions paradoxales des mathématiques peuvent se retrouver récupérées dans l’investigation physique. […] Si l’on veut savoir, à propos de ce qui est, ce que veut dire penser uniquement son être (c’est-à-dire non pas le fait que c’est un arbre, une mare, un homme, mais le fait que ça est), le seul moyen de le faire, c’est évidemment de penser des structures purement formelles, autrement dit indéterminées quant à leurs caractéristiques matérielles. Et la science de ces structures indéterminées quant à leur caractéristiques matérielles, ce sont les mathématiques. Ce sont même les mathématiques qui ont inventé des formes, comme les nombres imaginaires, avant qu’on sache, et même qu’on puisse imaginer, qu’elles étaient en effet réalisées ou réalisables quelque part.
[…] Dans ce cas, la mathématique, c’est à l’évidence l’invention anticipée, au niveau de l’être pur, d’un certain nombre de dispositifs formels qui vont s’avérer plus tard, selon le devenir hasardeux et complexe des sciences de la nature, réalisés dans des modèles matériels pertinents. Ça aussi c’est une preuve, à mes yeux, que la mathématique touche un réel, mais à un niveau qui n’est pas expérimental, puisqu’il est présupposé dans toute expérience. On voit très bien qu’Apollonius de Perge a pensé ce qu’était l’être en tant qu’être d’une orbite de planète, sans pour autant savoir à l’époque qu’il s’agissait de cela. C’est pourquoi je rejette la théorie selon laquelle les mathématiques dérivent de l’expérience sensible. C’est l’inverse : le réel de l’expérience sensible n’est pensable que parce que le formalisme mathématique pense « à l’avance » les formes possibles de tout ce qui est. […] Voilà selon moi ce qui élucide la question mystérieuse du rapport entre les sciences formelles que sont les mathématiques et les sciences expérimentales comme la physique.
[…]
Je ne soutiens pas que les mathématiques ont « besoin » que les formes structurales qu’elles étudient soient un jour validées par l’expérience. Ma formule est : les mathématiques sont l’ontologie, c’est-à-dire l’étude indépendante des formes possibles du multiple en tant que tel, de tout multiple, et donc de tout ce qui est – car tout ce qui est, est en tout cas une multiplicité. […] les « idéalités » dont vous [Gilles Haéri] parlez sont en réalité des formes possibles de ce qui est, en tant qu’il est, et n’ont pas besoin d’être expérimentées en tant que pures formes pour être connues, c’est-à-dire pensées, par les mathématiciens. Cela dit, il peut y avoir une inspiration inverse. Le cas le plus clair est celui du calcul différentiel. […] Mais dès que ce continent prend sa forme purement mathématique, il se développe selon les lois propres de l’ontologie, lesquelles sont axiomatiques et démonstratives, mais nullement expérimentales. […]
S’il se trouve que les lois physiques obéissent à des régularités qui ne sont formalisables que dans le langage des mathématiques, c’est uniquement parce que ce langage vise, depuis toujours, à penser les formes possibles de tout ce qui se soutient dans son être de quelque cohérence.
[…]
[…] il y a un « contenu » réel de la pensée mathématique. Il ne s’agit ni d’un jeu de langage – même si des formalismes complexes sont requis –, ni d’une dépendance de la pure logique. […] la majorité des mathématiciens sont « platoniciens ». Ils ne croient pas à la deuxième thèse, celle du jeu de langage, du formalisme intégral, qui est en vérité une thèse de provenance plutôt philosophique. Ils croient que les objets ou structures mathématisables « existent » en un certain sens. Pourquoi cette conviction ? Certainement parce qu’ils ont trop d’expérience que « quelque chose » résiste lorsqu’on fait des mathématiques, qu’on se frotte à une réalité difficile, rebelle. Mais alors, qu’est-ce qui résiste ? […] le mathématicien […] a l’impression que le chemin qui conduit à la solution d’un problème […] est un chemin qui fait toucher un réel, qui est doté d’une sorte de complexité intrinsèque. La nature exacte de ce réel, c’est une autre discussion. Mais en tout cas on a le sentiment de toucher une réalité extérieure, au sens où elle n’est pas une simple fabrication de l’esprit. Sans cela, on ne comprend pas l’énorme difficulté et la résistance extraordinaire qu’on rencontre pour démontrer y compris certaines propriétés qui ont tout à fait l’apparence d’être élémentaires. […] Comment ne pas être convaincu que l’infinité des nombres naturels « existe », en un sens qu’il conviendrait d’éclaircir ?
Ma conclusion, proprement philosophique, c’est que, en réalité, les mathématiques sont tout simplement la science de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire ce que les philosophes appellent classiquement l’ontologie. Les mathématiques, c’est la science de l’ensemble de ce qui est, saisi à son niveau absolument formel ; et c’est la raison pour laquelle des inventions paradoxales des mathématiques peuvent se retrouver récupérées dans l’investigation physique. […] Si l’on veut savoir, à propos de ce qui est, ce que veut dire penser uniquement son être (c’est-à-dire non pas le fait que c’est un arbre, une mare, un homme, mais le fait que ça est), le seul moyen de le faire, c’est évidemment de penser des structures purement formelles, autrement dit indéterminées quant à leurs caractéristiques matérielles. Et la science de ces structures indéterminées quant à leur caractéristiques matérielles, ce sont les mathématiques. Ce sont même les mathématiques qui ont inventé des formes, comme les nombres imaginaires, avant qu’on sache, et même qu’on puisse imaginer, qu’elles étaient en effet réalisées ou réalisables quelque part.
[…] Dans ce cas, la mathématique, c’est à l’évidence l’invention anticipée, au niveau de l’être pur, d’un certain nombre de dispositifs formels qui vont s’avérer plus tard, selon le devenir hasardeux et complexe des sciences de la nature, réalisés dans des modèles matériels pertinents. Ça aussi c’est une preuve, à mes yeux, que la mathématique touche un réel, mais à un niveau qui n’est pas expérimental, puisqu’il est présupposé dans toute expérience. On voit très bien qu’Apollonius de Perge a pensé ce qu’était l’être en tant qu’être d’une orbite de planète, sans pour autant savoir à l’époque qu’il s’agissait de cela. C’est pourquoi je rejette la théorie selon laquelle les mathématiques dérivent de l’expérience sensible. C’est l’inverse : le réel de l’expérience sensible n’est pensable que parce que le formalisme mathématique pense « à l’avance » les formes possibles de tout ce qui est. […] Voilà selon moi ce qui élucide la question mystérieuse du rapport entre les sciences formelles que sont les mathématiques et les sciences expérimentales comme la physique.
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Je ne soutiens pas que les mathématiques ont « besoin » que les formes structurales qu’elles étudient soient un jour validées par l’expérience. Ma formule est : les mathématiques sont l’ontologie, c’est-à-dire l’étude indépendante des formes possibles du multiple en tant que tel, de tout multiple, et donc de tout ce qui est – car tout ce qui est, est en tout cas une multiplicité. […] les « idéalités » dont vous [Gilles Haéri] parlez sont en réalité des formes possibles de ce qui est, en tant qu’il est, et n’ont pas besoin d’être expérimentées en tant que pures formes pour être connues, c’est-à-dire pensées, par les mathématiciens. Cela dit, il peut y avoir une inspiration inverse. Le cas le plus clair est celui du calcul différentiel. […] Mais dès que ce continent prend sa forme purement mathématique, il se développe selon les lois propres de l’ontologie, lesquelles sont axiomatiques et démonstratives, mais nullement expérimentales. […]
S’il se trouve que les lois physiques obéissent à des régularités qui ne sont formalisables que dans le langage des mathématiques, c’est uniquement parce que ce langage vise, depuis toujours, à penser les formes possibles de tout ce qui se soutient dans son être de quelque cohérence.
mathématique
Les mathématiques ont donc constitué très tôt, dès la Grèce ancienne, un univers dans lequel des choses considérées comme vraies, démontrées, circulent sous condition de leur validation et de leur acceptation par la communauté des gens qui « s’y connaissent », et pas par le simple fait d’autorité résultant de ce que le mathématicien s’appelle « mathématicien ». Le mathématicien, au contraire, est celui qui introduit pour la première fois une universalité, totalement affranchie de toute présupposition mythologique ou religieuse, et qui ne prend plus la forme du récit, mais celle de la preuve. La vérité fondée sur le récit est la « vérité » traditionnelle, de type mythologique, ou révélée. Les mathématiques ébranlent tous les récits traditionnels : la preuve se présente comme ne dépendant que de la démonstration rationnelle, exposée à tous et réfutable dans son principe même, si bien que celui qui a affirmé un énoncé finalement démontré comme faux doit s’incliner. En ce sens, les mathématiques participent de la pensée démocratique, qui apparaît du reste en Grèce en même temps qu’elles. Et la philosophie n’a pu se constituer dans son autonomie – d’ailleurs toujours menacée – par rapport au récit religieux qu’avec cet appui formel, qui sans doute concernait un domaine limité de l’action intellectuelle, mais un domaine qui avait des normes totalement indépendantes, des normes explicites, que tout un chacun pouvait connaître. Une preuve avait à être une preuve et c’est tout. Il est donc vrai qu’il y a dès l’origine partie liée entre les mathématiques, la démocratie (au sens de la modernité opposée aux autorités traditionnelles) et la philosophie.
quotation
Notre monde n’est nullement aussi « complexe » que le prétendent ceux qui veulent en assurer la perpétuation. Il est même, dans ses grandes lignes, d’une parfaite simplicité.